une affaire de famille

De la difficulté de préciser un prénom, et de différentes manières de raconter une histoire.
Ou de raconter l’histoire d’une histoire (voir à la fin de l’article).

Château de Tournoël
(Volvic, Puy-de-Dôme)

(Matthieu Perona CC BY 3.0, via Wikimedia Commons)

 

 

 

 

Le même dans l’Armorial de Guillaume Revel (XVe siècle) (Gallica)
« Tournoille »

ci-dessus Histoire de Bresse et du Bugey etc.., Samuel Guichenon, 1650

ci-dessus Les Mazures de l’abbaye royale de l’Isle-Barbe-lez-Lyon, Claude Le Laboureur, 1681
Notez que l’auteur corrige son confrère quant au prénom, qui est bien Guichard par d’autres sources.

« Le dernier seigneur des de la Roche fut Jean de la Roche, il épousa Catherine ou Françoise de Talaru, et leur fille Charlotte de la Roche porta Tournoël en mariage à son époux Jean d’Albon seigneur de Saint André (fils de Guichard seigneur de Saint-André et Anne de St Nectaire), nouveau seigneur de Tournoël »  (http://lisolee.free.fr/pages/chateaux%20auvergne.htm)

« Tournoël connut alors une époque brillante. Françoise de Talaru, jeune et séduisante veuve, y créa une sorte de cour d’amour attirant la société des environs. Les musiciens, les comédiens, les troubadours et les jongleurs y affluèrent. Mais, la maîtresse des lieux dut faire face à la cupidité de son beau-frère, co-tuteur de sa fille. Elle le chassa du château. Elle fut pour cela sévèrement blâmée par le bailli de Montferrand qui l’accusa de sorcellerie et lui retira la tutelle de sa fille. La jeune femme réagit en fiançant cette dernière, âgée de 7 ans, au fils du bailli qui, séduit à son tour, finit par épouser la veuve avant de mourir quelques jours plus tard » (http://jean.dif.free.fr/Chatover/Tournoel.html)

« Pour le propriétaire, si une histoire devait être racontée parmi toutes celles qu’a vécues ce château, ce serait celle de Françoise de Talaru, qui au XV eme siècle, veuve et mère à vingt ans, est menée au tribunal de Riom, accusée de dépenser l’héritage laissé par son défunt mari à sa fille. «Celle-ci sort de procès une semaine plus tard, sa fille fiancée au fils du juge et elle-même mariée au juge qui décédera un mois plus tard. Le ménage des jeunes a bien marché, ils ont vécu longtemps dans le château et ont ainsi fait de nombreux travaux». »  (http://www.lamontagne.fr/auvergne/actualite/departement/puy-de-dome/riom/2013/08/19/si-le-chateau-de-tournoel-est-beau-il-est-avant-tout-fort_1661235.html)

« En 1500, Tournoël est entre les mains de Françoise de Talaru : une jeune et jolie jeune femme issue d’une des familles les plus anciennes du Lyonnais, dont étaient sortis bien des cardinaux et des gouverneurs.
Elle qui aimait le faste et les plaisirs de la vie se retrouve, après son mariage, obligée de vivre dans cette forteresse sombre et décrépie de Tournoël, avec sa belle-mère Jeanne de la Vieuville (cousine d’Agnès Sorel, tiens) et son beau-frère, Antoine de La Roche.
Waah, bonjour l’ambiance… Au château, Françoise organise des fêtes somptueuses, se ruine en banquets délicats et en bals merveilleux… Mais la bisbille avec le beauf, très cupide, est inévitable ! Déjà parce qu’elle dilapide le fric en frivolités mais en plus, Antoine détourne l’héritage de la fille de Françoise, Charlotte…
Il faut dire que Françoise était, avec Antoine, le tuteur de Charlotte ! Elle décide de l’éloigner un moment en le chassant du château. On appelle le bailli de Montferrand, Guichard d’Albon, pour régler le problème.
Il accusera Françoise de tous les maux, véritable « Circé, Mélusine, magicienne, charmeresse et sorcière » selon ses propres mots… avant de lui donner raison. Françoise finit par marier sa fille de 7 ans avec le fils du bailli et elle, épouse ledit bailli… qui meurt peu de temps après. »  (https://fr.anecdotrip.com/anecdote/la-circe-de-tournoel-par-vinaigrette)

Éclairons cette belle histoire  —  Marguerite d’ALBON est notre ascendante.
Catherine de TALARU, veuve de Jean de La ROCHE et mère de Charlotte, mène la belle vie au château de Tournoël.
Selon une indication elle pourrait avoir un peu moins de trente ans.
Son beau-frère l’accuse de dilapider l’héritage de sa fille, ce qui finit par la mener devant un tribunal. Guichard d’ALBON, parmi ses très nombreuses charges, est bien mentionné bailli de Monferrand en 1498. Elle finit par si bien s’entendre (?) avec ce juge qu’elle l’épouse (il est aussi veuf, âgé de peut-être 59 ans), tout en fiançant Charlotte (7 ans) avec Jean, le fils du juge qui a peut-être 30 ans (?). Mais le pauvre Guichard décède à peine un mois plus tard …
NB dans ces alliances on se transmet des châteaux (au pluriel) et bien plus; et en effet, Charlotte transmettra par son mariage le château aux enfants de Jean; il était de règle de prévoir ce genre de disposition dès le contrat de mariage (ou peut-être ici déjà, de fiançailles ?)
Le mariage eut lieu au château en 1509 ou 1510 (Charlotte aurait ∼15 ans et Jean ∼38) et dura, ils y vécurent en effet, l’embellirent et l’agrandirent. On leur connait trois enfants: notre Marguerite, Jacques qui devint le célèbre maréchal de Saint-André, et François.
Jean ne devait pas être là souvent; grand seigneur, homme de guerre …

Guichard d’ALBON et Catherine de TALARU étaient par ailleurs cousins (7ième degré).
leur mariage: 2 mai 1502
décès de Guichard: 28 du même mois
Le château, auparavant aux de La ROCHE, passa à Charlotte puis à Jacques d’Albon fils de Jean, puis à la fille de celui-ci, Catherine seule héritière mais prématurément décédée (empoisonnée par sa propre mère, raconte-t-on !), puis à Marguerite d’ALBON sœur de Jacques, et de là dans la famille d’APCHON par son mariage avec Artaud d’APCHON (dans ces étapes successives les femmes n’ont que l’usufruit de leur dot, la propriété devant aller à leur héritier mâle …)

Reste à trouver d’où vient le prénom Françoise ?
Il y a probablement une source commune aux sites ci-dessus cités, que je ne connais pas encore.
Hypothèse: dans « Généalogie historique et critique de la maison de La Roche-Aymon etc. » par l’abbé Jacques Destrées (1776 – Googlebooks) on lit d’une part que Charlotte s’appelle Catherine ?? de La ROCHE, d’autre part que sa mère, épouse de Jean de La ROCHE, est Françoise du BOIS ! Il semble y avoir confusion, Françoise du BOIS serait plutôt la mère de Catherine de TALARU, c’est-à-dire la grand-mère de Charlotte.

PS Dans Histoire du château féodal de Tournoël en Auvergne (1881) (Gallica), page 77 sq, Hippolyte Gomot donne une version assez différente sur quelques points essentiels (mais est-il plus fiable ?):

  • la mère avait bien d’abord chassé son beau-frère Antoine (« fanatique et cupide seigneur ») mais a été éloignée à la suite du jugement (« ignominieusement chassée de Tournoël et de la province »), retirée en Forez
  • Charlotte restée sous la tutelle de son oncle a été fiancée à Jean d’ALBON à l’âge de 17 ans
  • après son mariage Charlotte n’habita pratiquement plus le château, resté administré par cet oncle (Antoine)
  • l’épouse de Guichard serait une Catherine TALARU cousine de la mère de Charlotte !